Résolu 1. À la frontière des mondes [Oden x Daniel]

[Daniel] 

La soirée encore une fois se dit productive pour mon métier de la nuit. Il y a une heure à peine, nous sonnions l'ouverture d'un des nightclub les plus réputés de la ville -MON nightclub, et c'est le temps qui a fallu pour remplir de façon conséquente mes locaux. Tout le monde s'y prêtait : terrestres, quelques loups-garous et sorciers aussi... Concernant les vampires, il faisait encore trop jour pour oser s'aventurer en dehors de leur tanière, mais peut-être que d'ici une heure ou deux, certains se verront sortir le bout de leur nez. 

Du haut de mon petit piédestal, à savoir le carré réservé à l'élite de la clientèle -du moins si je peine à bien vouloir la considérer ainsi, j'observais les humains se laissaient aller à la débauche en sirotant mon breuvage. Hmm, je ne pense pas avoir apperçu de Nephilims pour l'instant. Pour mon plus grand bonheur ceci dit. Qu'ils ne se mêlent pas des affaires des Créatures Obscures, il n'y a qu'à voir le résultat que cela a donné la dernière fois.

[Oden]

Il avait longtemps hésité avant d'accepter un tel métier.

" - Garçon, par ici."

" - Attend, moi d'abord."

" - Par ici plutôt, il a ma commande."

Oden, grand dadet qu'il était, ne savait plus où donné de la tête parfois. Tout allait si vite, et de toute façon les gens étaient trop alcoolisés pour avoir quelque chose à faire de s'il ne donnait pas la bonne commande au bon moment, s'il la donnait un jour toutefois. C'était plus facile de travailler derrière un comptoir, c'est sûr, mais parfois il fallait qu'il se faufille entre certaines tables mises à l'écart, contre un mur, pour laisser la place aux danseurs et agitateurs de la soirée. De toutes les mêmes soirées. Quand il passait trop de temps, il lui arrivait parfois d'entendre des acouphènes dérangeant, au point de n'avoir que ça en tête comme une obsession lancinante.

Cependant, il ne regrette pas un tel métier. Il voit du monde, c'est sûr, et il apprend cette langue si travaillée parmi le peuple déboussolé : le slang, les mots mâchés, la vitesse, le rythme, les vulgarités, tout ce qu'il n'a jamais appris à l'école. Bien entendu, il avait déjà entendu deux trois insanités à la télévision, en Scandinavie les shows sont rarement doublés pour eux, pratiquement tous les divertissements sont en anglais. Mais dans la vraie vie, on est rarement géré par la censure et les médias. Oden était donc bien plus conscient de sa faiblesse de compréhension et essayait de tendre l'oreille un peu partout.

Quand il ne peut plus que se reposer sur ses yeux plutôt que ses oreilles fatiguées, il préfère passer le restant de sa soirée à relayer ses collègues au carré VIP, une sorte de place dorée, pour ceux qui payent le plus. C'était plus calme, mais bien plus insolite parfois. Les gens doivent se sentir pousser des ailes quand on a de quoi payer une amende, pensa-t-il.

Il finit par atteindre une table avec un homme, dont les cheveux éclataient presque autant que les siens dans le décor. De sa petite voix pour ne pas faire peur, et éviter de faire détoner son accent au grand jour mais assez fort pour être entendu par delà la musique, il demanda :

" - Vous voulez commander quelque chose ?"

[Daniel]

Dans ma propre réflexion mentale -digne d'un narcissique, je vous assure, je m'en venais à trouver amusant de se dire que dans, allez, 80-100 ans, ces personnes qui aujourd'hui vivent leur jeunesse à pleins jours ne seront plus. Oh, je ne parle que des terrestres et des loups dans ce cas précis. Elles auront vieillies, et faiblies, tandis que moi j'aurais bien le temps de vivre des milliers d'années supplémentaires avant de bien vouloir me dire que, j'en ai eu assez. Du point de vue féerique je ne suis qu'un petit bébé, à la limite du nourrisson. C'est faible, la mortalité tout de même. 

La musique battait son plein, les lumières allait à tout va dans la boîte, à ça de vous aveugler si on les regardait trop longtemps. Et puis en bas, il y avait des bulles et de la fumée, un effet ajouté qui semblait bien plaire à ces petits humains frêles. 

Ce soir aussi j'étais accompagné. De femmes et d'hommes à mes bras -ce beauf-. Pour autant ça ne leur accordais de l'importance ou quoi. Orf, j'étais dans un mood de réflexion sans grande importance, mais jusqu'à ce que je trouve quelque chose d'intéressant à titiller, je me contenterais de ça.

Mes yeux se posaient partout, sauf en face de moi, c'est pour ça que je n'ai pas vu arriver le serveur. Un de mes employés ? Ahaha ! J'en sais trop rien en vrai, je ne me charge pas de ce genre de trucs, j'ai bien mieux à faire. Mais bon admettons, s'il était là, il était suffisamment compétent pour servir ma cause. Il avait un physique atypique pour un humain. Les cheveux, le visage aussi. Ses yeux sont assez troublant, parce qu'ils ont presque la même couleur que les miens. D'ailleurs je me demandais de quelles couleurs il pouvait bien les voir lui ?

Et il me demandait donc si je voulais commander quelque chose, de ma propre boîte. Eh bien, sait-il seulement qu'il s'adresse à son supérieur ? 

J'ai eu un petit sourire en coin. Oh, je peux toujours trouver de quoi me divertir avec si peu.

Je me tournais vers les sujets de ma Cour -la modestie bonjour.

“-Eh bien prenez ce que vous voulez, c'est la tournée du patron.”

Je décortiquais le garçon du regard, comme pour y déceler un grand secret. Mais bon, je crois que de nous deux celui qui a le plus grand secret, c'est bien moi.

“-Viens donc t'asseoir ici mon garçon.” 

Et je pointais du doigt une place à, l'autre bout du fauteuil dans lequel je prenais place, depuis le Pandémonium.

[Oden]

Oden avait suffisamment prononcé ces paroles pour ne pas se retrouver troubler. Au départ, il était difficile de faire abstraction de lui-même et de la propre image mentale qu'il se faisait de lui-même surtout. Vous savez, celle que l'on critique bien trop durement dans l'espoir de faire mieux la prochaine fois. Ici, les gens étaient trop saouls pour en avoir quoi que ce soit à foutre, et puis, il n'était pas mauvais garçon alors il pouvait bien faire une connerie ou deux et il était vite pardonné d'un sourire pété ou bien par des cris maladroits, souvent de la part d'hommes qui ne cherchent même plus à articuler.

Mais, cette fois-là était différent. Il se mordait la lèvre en regardant le spectacle qui se produisait sous ses yeux, en pleine réflexion. Il était un peu confus, mais ce dit qu'ils devaient être des habitués et se contenta de ça. Il attendit donc, droit et sans faillir, à ce que chacun énumère sa boisson du moment, mais la plupart le dévisageait et le déshabillaient des yeux. C'était habituel, dans un nightclub, et il se disait qu'au moins il ne faisait pas partie des plus populaires et n'avait pas à subir ça tous les soirs - au contraire de ses collègues féminines qui avaient tendance à devoir supporter bien pire.

Il fut malgré tout bousculer par la demande de l'étrange inconnu. D'abord, il se demanda s'il avait bien entendu, et fixait l'endroit qu'il pointait. Il prit du temps pour cogiter, avant de formuler une réponse.

" - Je suis en service, je ne peux pas prendre de pauses maintenant. Mais je peux toujours prendre vos commandes, si ça vous intéresse."

Il avait l'impression d'être le petit agneau en chocolat que l'on offrirait à des enfants à pâques. C'était une métaphore légère et enfantine, déjà parce que les autres personnes autour de lui, assises, étaient encore plus petites, et qu'il n'avait pas grand chose à craindre de toute manière. Il n'était pas le genre de gars que l'on aime bousculer, grâce à sa carrure - sa grande taille plutôt, car en réalité Oden est bien loin de savoir se défendre, encore moins de produire tout effort physique prolongés. Il leur renvoyait simplement leur regard avec beaucoup de confusion et un soupçon d'amusement. Ca leur passera, pensa-t-il.

[Daniel]

Eh bah tiens. Est-ce qu'il venait de refuser ? Ce n'était pas le bon mot, disons donc qu'il a poliment décliné la proposition que je venais de lui faire. Ce grand gaillard -il était même plus grand que moi-même,  pourtant en terme de taille je ne suis pas si mal- ne m'avait pas l'air bien méchant. De toute façon tout humain qui ne possède pas de fer sur lui me paraît inoffensif. Mais pour en revenir à ce que je disais, je ne prenais pas bien les refus qu'on pouvait me faire. 

“-Techniquement, je suis celui qui décide de tes heures de services.”

Du moins j'ai du pouvoir sur son supérieur à lui.

“-Et je décide que ton service sera terminé quand tu auras servi ma table.”

Ça m'amusait, ces petits usages de pouvoirs puérils. Ça me ressemblait bien, aussi.

Je le regardais, un petit sourire en coin, en réarrangeant rapidement mes cheveux. C'est qu'il fait chaud ici.

“-Donc, reviens t'asseoir avec nous. Je te paye ce que tu veux à boire. Il y a bien quelque chose que tu aimerais, non ?”

[Oden]

Surpris n'était pas bien le mot. Mortifié, il l'était. Il ouvrit de grands yeux, avant de pencher la tête d'un côté, comme pour fuir le regard de celui qui le testait. La colère, bien qu'elle pouvait pointer le bout de son nez, n'avait aucune accroche et repartait aussitôt. Oden était sûr de ne l'avoir jamais vu, mais il n'était pas improbable qu'il n'ait jamais croisé le patron du nightclub et qu'il l'ait offensé. C'était sa bêtise du jour, dirons-nous.

Dans un soupir, essayant de se faire petit - ce qui n'était pas bien facile - il répondit simplement par un hochement de tête avant de s'assoir avec les autres personnes. Il essaya de détendre un petit peu l'atmosphère par un sourire tout aussi mal à l'aise, les lèvres pincées. Mais les autres personnes ne l'intéressaient pas autant que celui qui l'importunait depuis tout à l'heure. Au moins, ils étaient à taille égal maintenant. Il le fixait longuement, attendant ses prochaines paroles docilement. Ce serait vraiment, vraiment très con s'il se faisait renvoyer maintenant. Les loyers sont chers et les bons appartements à bas prix sont d'une rareté suprême. Alors il priait pour n'avoir pas été trop maladroit avec celui qui se présentait comme son supérieur.

" - Juste de l'eau, pour moi, ça suffira."

Oden n'appréciait pas réellement tous les cocktails qu'ils proposaient. Ce qui lui plaisait surtout était les couleurs, et parfois le fait qu'ils les font s'enflammer sur le comptoir pour le spectacle, mais certainement pas le mélange d'autant d'alcools. Il appréciait simplement la bière, et quelques vins et whisky parce que son père essayait parfois de lui faire goûter les meilleures choses, voilà tout.

[Daniel]

“-Tu es bien sage dis donc.” chantonnais-je, amusé

De l'eau ? Seulement ? Je n'allais pas m'en plaindre, de toute la table c'est sans doute lui qui me coûtera le moins chère. Les autres autour, qui faisait mine de s'intéresser à moi vont me coûter un bras. Fort heureusement pour moi, être à la tête d'un bon nightclub à New York, ça paie bien sa vie. Même si les valeurs d'argent que j'aie ne sont absolument pas les mêmes que celle des terrestres. Soit, ce sera de l'eau pour toi jeune homme.

C'est un autre serveur qui a pris les commandes de tout le monde, dont la mienne : un Jack's Daniel. Ma petite plèbe parlait entre elle, ceux les plus proches de moi essayaient d'avoir mon attention, en revanche je dois admettre que j'étais surtout très tenté de titiller les limites du serveur qui semblait si si docile... Ça peut être amusant.

“-Je présume que tu ne travailles pas ici depuis suffisamment longtemps pour ne pas avoir reconnu le propriétaire.”

[Oden]

Au départ, le garçon avait du mal à trouver sa place. Il lui arrivait d'avoir ce genre de propositions - bien trop de la part de filles plutôt que d'autres garçons à son plus grand malheur - mais ne cédait jamais. Pas seulement par timidité, simplement par professionnalisme. Mais, maintenant que ça venait de lui arriver, il n'était plus trop sûr de l'attrait de la chose. Il se sentait piégé et un peu ennuyé par l'affaire.

Il se contentait d'abord de fixer les autres personnes en bas, et certains serveurs qui affichaient un sourire amusé en le voyant au côté de celui qu'il n'avait, effectivement, pas su reconnaître à temps. Celui-là même qui essayait de le pousser dans ses retranchements. Oden n'était pas bien sûr d'avoir des limites de toute façon. Il allait où il voulait, là où le courant le portait. Son visage angélique et sa gentillesse lui ouvrait bien plus de portes que la violence des autres.

" - Non, quelques semaines à peine. Mais j'aime beaucoup ! Je n'ai rencontré que ce type, là en bas, qui se charge de nous en fait."

Oden préféra se taire, il se doutait qu'il n'apprenait rien à celui qui le questionnait. Et puis, moins il parlait, moins il avait de chance de trahir son accent et de se remettre à parler dans son anglais bizarre, bancal. Son vocabulaire n'était pas le problème, c'était surtout sa prononciation qui parfois pouvait laisser à désirer.

C'est sûr que c'est un tout autre rythme que de bosser dans la petite épicerie de ses parents ou à la mairie de son ancien village. Mais il appréciait largement tous ces spots ces lumières et l'énergie même de cette nouvelle ville dans laquelle il résidait. Il avait l'impression de renaître, ou de se redécouvrir, d'évoluer dans un nouveau monde et d'en apprécier chaque nouveau mystère. A cette pensée, il se mit à sourire, s'enfonçant dans son siège, avant de reposer ses yeux sur le visage de Daniel. Il faisait vraiment jeune pour être un superviseur, les autres types étaient plutôt du genre balèzes, barbus, couverts de costumes ouverts et puant toutes les effluves que l'on pouvait trouver ici, au Pandémonium (un mot qu'Oden avait, parfois, du mal à prononcer).

[Daniel] 

Comme je m'intéressais à mon employé -pour le temps que ça durerait, les autres faisaient de même. Il s'est d'un coup retrouvé avec un certain public le nouveau ! Il n'avait pas l'air de ceux qui appréciait attiser  l'attention des autres. Quel dommage qu'il se soit fait repéré par le patron, ahaha ! C'est surtout son physique qui m'a un peu tapé dans l'oeil -sans arrière-pensée aucune, pour rappel je ne peux pas mentir : les humains n'avaient pas de nombreux choix en terme de différences physiques. Il y avait la peau noire, le beige et les blanc comme neige. Une catégorie à laquelle il avait l'air d'appartenir visiblement.  Mais surtout, c'était la couleur de ses yeux qui m'avaient  interpellé en premier. J'ai assumé dès le début qu'il était un terrestre, mais un terrestre avec des yeux pareils c'est rare. D'où mon intérêt.

Il s'enfonçait lui-même dans une maladresse , effrayé de dire la chose qui pourrait éventuellement virer. Ah ! Il avait bien raison de faire attention à ce qu'il dit. 

J'ai eu un petit rictus, ce garçon se donnait en spectacle tout seul. 

“-Dans ce cas, je me présente. Je suis le propriétaire et ton patron, M. Metrios.” 

[Oden]

A force, Oden ne savait plus faire la différence entre le danger et le confort. Son patron, apparemment, n'avait pas l'air d'être méchant ou de lui vouloir du mal, ce qui avait au moins le mérite d'apaiser son stress. Il en profitait pour observer les alentours, qui ne changeaient pas réellement et qu'il avait déjà vu des dizaines de fois, sous toutes les coutures, sous toutes les lumières. C'était ce type là, en face de lui, qu'il n'avait jamais vu auparavant, ceci dit. Et, sous les lumières, c'était comme s'il se confondait dans un miroir. Ils avaient pratiquement le même cheveux, en tout cas c'était ce que la lumière laissait refléter du moins.

" - Oden Asbjorn, enchanté."

Il accompagna ses paroles d'un hochement de tête solennel et honnête. Avec un nom pareil, ça ne servait plus réellement à rien de cacher son accent. Sa langue a roulée toute seule, c'était plus facile de prononcer son nom que n'importe quel autre mot compliqué de la langue anglaise. Enfin, de toute façon c'est pas comme s'il était le premier étranger du nightclub. Il y avait toutes sortes de monde ici, parmi ses collègues déjà. Il se doutait bien qu'il n'allait pas dépayser son patron, mais qu'il était probablement le premier Suédois à la rigueur. Maintenant que les présentations étaient faites, il avait du mal à quitter le regard de son supérieur. C'était une forme de respect, ils venaient d'engager une sorte de conversation, ce serait mal vue soudainement de se concentrer sur autre chose que lui.